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La mort du dernier Samouraï

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Me voilà, encore une fois, témoin ébranlé par la mort subite d’un ami. Encore une fois, surpris par la faucheuse, je me soumets à cette insoutenable épreuve. Oui, la douleur est si intense en ce qu’elle ne vous laisse aucune échappatoire. Voilà une année, Mabrouk était parti sans prévenir. Comme chaque été. Puis, à la rentrée, nous le retrouvions fidèle au poste. Certes, nous savions qu’il était atteint d’un terrible cancer. Et nous avions fait confiance à son moral d’acier. Didi avait cette qualité rare de ne jamais s’avouer vaincu. Il était de la race des lutteurs. Jamais il n’a cédé sur les principes. Enseignant méticuleux et appliqué, il ne faisait jamais les choses à moitié. Toujours droit dans ses bottes, il ne ménageait aucun effort. Il était tellement rigoureux qu’il lui arrivait très souvent de nous indisposer. Quand il avait raison, il n’était pas aisé de lui demander de changer d’attitude. Il lui arrivait, dans un jury de fin d’études, de passer des jours et des nuits à refaire tous les calculs, à triturer toutes les formules et à discuter tous les résultats. Sa présence dans un jury était pour nous les zootechniciens un gage de sérieux, de rigueur et d’honnêteté. Il était sans doute l’un des plus exigeants enseignants que j’ai eu à connaitre. Et cette exigence, il se l’appliquait d’abord à lui-même. Combien de fois, nous lui avions recommandé de compiler ses nombreux et originaux travaux en une thèse ? Combien de fois, il nous répondait qu’il ne soutiendrait jamais une thèse au rabais. Pourtant, pour l’avoir côtoyé durant 38 ans, et ayant participé avec lui à la constitution d’une équipe de recherche, et ce bien avant l’arrivé des premiers programmes de recherches sectoriels, je sais combien ses travaux sur l’alimentation animale ont été nombreux, originaux et utiles. C’est lui qui, le premier, s’est appliqué à mener des expériences sur la substitution de l’orge locale au maïs d’importation dans les régimes alimentaires du poulet. Ses travaux restent frappés du sceau de la rigueur et de la clarté. Les résultats rapportés durant plus de 3 décennies, constituent une contribution majeure à une alimentation du poulet. Pourtant, son niveau d’exigence était tel, qu’il trouvera toujours une parade pour ne pas soutenir son doctorat. Voilà une année, nous avions encore une fois abordé cette question avec lui. Puis, sans crier gare, Didi s’en est allé retrouver les siens. Comme le film de Shohei Imamura (Narayama Bushiko, Japon, 1983), dès qu’ils approchent les 70 ans, les vieillards sont conduits en haut de la montagne Nara Yama et abandonnés aux vautours. Oui, incontestablement,  Didi, mû par une force intérieure et un réel dépassement de soi, ne peut ne pas rappeler la philosophie bouddhiste, avec un gout très prononcé de la notion du sacrifice, avec quelque part un penchant dissimulé pour la culture Samouraï. C’est pourquoi, même dans les ultimes instants, alors que le mal le rongeait intérieurement, Didi est resté stoïque. Sa vie a été une succession d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Il n’a jamais cessé de se comporter comme l’escaladeur de montagne. S’appuyant sur de remarquables aptitudes il n’a à aucun moment dévié de ce chemin de sacrifice et d’embuches qu’il appréciait par-dessus tout. Car c’est dans la besogne soutenue qu’il s’accomplissait. C’est certainement pour ça que sa vie s’est achevée dans une abnégation totale et dans une immense fierté. Sans calcul et sans recours. Repose en paix mon cher Didi. Tu nous manqueras à tous. Surtout à ceux et celles qui t’ont toujours admiré pour tes postures et pour ta droiture. 

 





 


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